76.

Caitlin Dillon courait vers la salle de conférences bondée du 13.

Elle passa devant des ouvriers occupés à boucher des fissures dans le ciment. À l’autre bout du couloir, trois femmes de ménage tiraient à grand-peine des seaux qui cliquetaient à chacun de leurs pas. Caitlin s’arrêta à l’entrée de la salle de conférences en effervescence et porta la main à ses cheveux.

Elle songeait à quel point Carroll lui manquait. Celui-ci devait revenir de Washington d’un moment à l’autre. Il l’avait appelée mais elle lui avait trouvé une voix tendue, lointaine.

Dépassant une armada de policiers et de militaires, elle pénétra dans la salle de réunion.

La nouvelle s’était déjà répandue dans tout l’immeuble : un pas avait enfin été franchi dans l’enquête Green Band.

Walter Trentkamp, le chef du FBI, se tenait debout, silencieux, face à une assistance fiévreuse. Il était de toute évidence nerveux. De légers filets de transpiration luisaient sur son visage et son col de chemise était humide.

Trentkamp s’éclaircit la voix. La scène rappela à Caitlin les conférences de presse de la plus haute importance données à Washington, les réunions d’urgence organisées à la dernière minute.

— Vous avez sûrement entendu cette rumeur selon laquelle un pas décisif a été accompli dans l’affaire Green Band… Nous le devons aux recherches acharnées du capitaine Francis Nicolo et du sergent Rizzo, du service de la balistique de la police de New York.

Frank Nicolo, « le gominé », surgit de la foule, flanqué de Joe Rizzo. Les deux hommes rayonnaient et firent un imperceptible salut de la tête.

— Ces messieurs travaillent d’arrache-pied depuis l’attentat du 4 décembre. Leurs efforts semblent avoir été grandement récompensés.

Quelques murmures élogieux se firent entendre à travers la salle. Nicolo et Rizzo se dandinaient comme des écoliers lors d’une remise de prix.

— Sergent ? appela Trentkamp. Si vous voulez bien me rejoindre…

Rizzo s’avança, l’air emprunté, hissant sur l’estrade un panneau sn polystyrène expansé, sur lequel étaient dessinés, en noir et blanc, les principaux immeubles du quartier financier. Les bâtiments qui avaient été plastiqués étaient coloriés en rouge vif et parsemés de cercles violets. Caitlin remarqua que ces cercles apparaissaient à des niveaux très différents des quatorze immeubles concernés.

— Les bâtiments en rouge ont tous explosé à la même heure le 4 décembre, commença Rizzo. Les dispositifs explosifs ont incontestablement été activés à distance. Entre treize et seize kilomètres. (Rizzo marqua une pause avant de poursuivre :) Les ronds violets entourant les immeubles indiquent l’endroit exact où les explosions ont eu lieu. C’est-à-dire là où les charges de plastic avaient été placées. Ici, ici, ici, etc. Comme vous pouvez le constater, les bombes avaient été posées à un étage différent de chacun des quatorze bâtiments. Au premier étage du numéro 22, sur Broad Street. Au quinzième étage, pour Manufacturers Hanover. Et ainsi de suite. Cela se voit clairement…

Rizzo promena son regard sur les visages des spectateurs comme s’il défiait quiconque de le contredire.

— À première vue, reprit-il enfin, cette répartition ne procède d’aucune logique spécifique. C’est du moins ce que nous pensions jusqu’à hier soir. Quand nous avons mis le doigt sur un point qui nous avait échappé… Regardez ! À chacun des étages entourés sont situés les bureaux où les coursiers viennent déposer ou prendre des plis et des paquets. Ce qui nous avait jusque-là masqué cette évidence, c’est le fait que, dans tous ces bâtiments, les services d’accueil des coursiers ne se trouvent pas systématiquement au même étage. Vous voyez où je veux en venir ?

Le sergent Rizzo se tut pour ménager son petit effet.

— Messieurs, les bombes ont été livrées, lâcha-t-il d’un coup. Probablement par un des coursiers habituels, qui est donc passé inaperçu. (Il parcourut de nouveau des yeux l’assistance muette.) Il existe plus de deux cents sociétés de courses, à Wall Street et aux alentours. Jimmy Split, Speedo, Fireball, Bullet, pour n’en citer que quelques-unes. Vous-mêmes les connaissez, pour la plupart. Il y a de grandes chances que l’une d’entre elles ait été contactée par nos amis de Green Band. Voire qu’elles aient été plusieurs à être utilisées pour porter les charges de plastic dans les immeubles, le 4 décembre. Quoi qu’il en soit, nous allons mettre le paquet et résoudre enfin cette affaire !

Caitlin perçut l’énergie extraordinaire animant soudain les membres de l’assistance, qui commençaient à se disperser. Après avoir passé des jours à se heurter inexorablement à des murs, dans une enquête qui ne menait absolument nulle part, ceux-ci se sentaient revivre. Elle fut presque entraînée par le flot de policiers et d’enquêteurs qui se ruaient vers la porte.

Une boîte de coursiers de Wall Street.

Un frisson la parcourut soudain.

Une société de courses…

Caitlin tourna les talons et quitta la salle de conférences, reprenant le chemin de son bureau. Elle venait de se rappeler un détail et voulait s’assurer au plus tôt que sa mémoire ne lui jouait pas des tours.

Elle partit en courant dans le couloir.

Vendredi Noir
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